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 Nuage francais 24d

 Ce nuage de mots présente quelques mots-clés qui caractérisent la Psychodramaturgie Linguistique (PDL).

 

Indications pratiques

  • Afin de faciliter la lecture du texte, nous utilisons le terme féminin "animatrice" pour la personne qui anime le groupe, qu'elle soit enseignante ou enseignant*, et le terme "participant" au masculin pour désigner les participantes et participants, ce qui permet dans la description des exercices d'associer « elle » à la personne qui a la fonction d'animation, et « il » à celle ou à celui qui a la fonction de participant(e).
    Le terme « animatrice » englobe donc son correspondant masculin « l’animateur » et illustre la phrase humoristique de Groucho Marx : « Les hommes sont des femmes comme les autres ».
  • Pour mieux se représenter l'application pratique des caractéristiques de la psychodramaturgie, il peut être utile de lire tout d'abord la description de certaines phases de son déroulement  Déroulement d'un cours

 

Fondamentaux de la PDL 2

Pourquoi "Psychodramaturgie Linguistique" ?

La Psychodramaturgie Linguistique (PDL) doit son nom à deux sources qui lui confèrent sa spécificité :

le psychodrame auquel elle emprunte certains fondements théoriques (les principes de la spontanéité créatrice, les concepts de rencontre et d'action qui ont conduit à la création d'une pédagogie de la relation et de la rencontre) [1], ainsi que certaines techniques sur le plan pratique (double, miroir, renversement de rôle).

la dramaturgie à laquelle elle doit, dans le domaine théorique, le concept de forces dramaturgiques, qui intervient dans la construction des exercices et le choix de documents.
Sur le plan pratique, elle lui doit certains exercices d'échauffement et d'expression issus de la formation d'acteurs, ainsi que l'utilisation de masques pendant les premiers jours de l'apprentissage. Ceux-ci facilitent la concentration et la perception précise des particularités prosodiques et articulatoires de la langue cible, ils ont également une fonction protectrice.

Nous ne faisons cependant ni thérapie ni théâtre. Nous avons seulement adopté certains concepts et certaines techniques psychodramatiques et dramaturgiques que nous avons adaptés à l'enseignement des langues [2].

Les termes "psychodrame" et "dramaturgie" ont en commun le mot "drama" qui signifie en grec "action", la PDL propose d'acquérir la langue étrangère en situation, en relation et en action. 

Pour plus de précisions sur les emprunts au psychodrame et à la dramaturgie voir : Les sources de la Psychodramaturgie.

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[1] Cf. Dufeu : La psychodramaturgie linguistique ou l'apprentissage de la langue par le vécu. In Le français dans le monde, N° 175, Février-Mars 1983, 36-45.
[2] 
J. L. Moreno, le créateur du psychodrame, a développé le jeu de rôle dans les années trente. Son influence sur la pédagogie des langues n'est donc pas nouvelle. Le jeu de rôle morénien a été malheureusement trop souvent appauvri lors de sa transposition pédagogique pour des raisons de fonctionnalisation linguistique.

 

1- L'orientation fondamentale de la Psychodramaturgie : une Pédagogie de l'être

J'appartiens à ce parti d'opposition
qu'on appelle la vie.
Honoré de Balzac

La conception de l'apprentissage en Psychodramaturgie Linguistique s'efforce d'être en adéquation avec une conception de l’homme [3] qui considère chaque participant comme un être unique en continuelle évolution, un être en devenir impliqué dans sa globalité dans le processus d'acquisition de la langue étrangère.

Plaçant le sujet au centre de l'apprentissage, elle se situe dans une orientation pédagogique plus vaste qualifiée de « Pédagogie de l’être », dont la principale caractéristique est de proposer une approche orientée intrinsèquement vers les participants et le groupe (cf. Dufeu, 1982). Elle se distance par là même d’une « Pédagogie de l’avoir » qui repose sur une sélection des contenus et une planification des objectifs linguistiques.

Il importe donc de spécifier tout d’abord quelques aspects qui marquent les différences fondamentales entre ces deux approches et de préciser, dans un second temps, comment ces fondements trouvent leur concrétisation pédagogique dans le cadre de l’apprentissage des langues étrangères.

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[3] Toute pédagogie est influencée par une conception de l’homme et de son apprentissage, mais celle-ci est plus ou moins explicite ou plus ou moins perceptible consciemment.

 

D'une Pédagogie de l'avoir à une Pédagogie de l'être en PDL

Le langage est la maison de l’être.
Dans son abri habite l’homme. 
[4]
Martin Heidegger : Lettre sur l’humanisme.

Une des caractéristiques fondamentales de la PDL réside dans son orientation vers les participants et le groupe, ce qui signifie que nous passons d'une pédagogie de l'avoir, centrée sur les contenus et les objectifs, à une pédagogie de l'être, qui est précisément orientée vers les participants et le groupe. Il importe donc de spécifier quelques aspects qui mettent en relief les différences entre ces deux approches pédagogiques. 

La Pédagogie de l’avoir est le plus souvent caractérisée par l'utilisation d'un manuel dont les contenus linguistiques et culturels ont été sélectionnés à l'avance par des personnes étrangères au groupe (concepteurs de directives ministérielles, lecteurs de maisons d’éditions, auteurs de manuels…) en fonction de critères établis sans relation directe avec les personnes en présence [5]. Elle est donc centrée essentiellement sur la transmission d’un savoir obtenu principalement à travers un apprentissage avant tout conscient et dirigé vers la réalisation d’objectifs déterminés à l’avance. Une phase dite de transfert doit ensuite permettre un emploi plus libre et parfois plus personnalisé de ces éléments. Cette pédagogie se déroule en deux temps : apprendre, puis employer.

Les apprenants [6] peuvent avoir des difficultés à s’identifier à ces contenus, car ils sont confrontés à une double aliénation [7] : ce n’est pas leur langue (première aliénation), mais surtout ce n’est pas non plus leur parole (deuxième aliénation), car ils doivent parler de contenus déterminés par d'autres.

Cette double aliénation altère la relation à la langue, atténue la vitalité de la communication entre les participants et diminue leur intérêt pour ce qui est dit, car l'imprévisible a peu de place dans ce processus. Elle réduit donc leur motivation ainsi que leur disponibilité à apprendre et leur capacité de concentration. Elle affaiblit également la rétention mémorielle, car de nombreux contenus ont souvent peu ou pas de résonance pour eux au moment de leur présentation. Elle rend, par là même, plus difficile l’appropriation et l’intégration de la langue étrangère. 

L'utilisation d'un manuel ne conduit pas seulement à la détermination d'une grande partie des contenus linguistiques et culturels imposés aux apprenants, elle a également une influence sur le mode d'apprentissage, de communication [8] et de relation dans le groupe [9] .

La Pédagogie de l'être se distingue fondamentalement dans sa relation aux participants, dans ses fondements et sa pratique d'une Pédagogie de l'avoir

Alors que la Pédagogie de l’avoir est essentiellement centrée sur le « quoi » (les contenus) et les objectifs d'apprentissage, la Pédagogie de l’être est orientée vers le « qui » (les participants avec leurs besoins et leurs désirs d’expression) et vers les processus d’acquisition de la langue, car elle place l'individu et le groupe au centre de ses considérations.

En Psychodramaturgie l'avoir est subordonné à l'être et le savoir est subordonné à la connaissance [10]. En effet, les participants acquièrent une connaissance de la langue en la vivant directement. Ils complètent et renforcent cette connaissance par un savoir sur la langue et la culture lorsque celui-ci s'avère nécessaire ou présente un intérêt linguistique ou culturel. La langue n’est plus, avant tout, objectif d'apprentissage, mais essentiellement moyen de communication et de relation aux autres (fonction relationnelle). La PDL et les autres formes d’apprentissage relevant de la Pédagogie de l’être partent du sujet et non de la matière, elles constituent donc un renversement méthodologique.

L'avoir est subordonné à l'être.

Le tableau ci-dessous présente de manière schématique la différence de conception entre une Pédagogie de l'avoir centrée sur la transmission de contenus et la construction d'un savoir et une Pédagogie de l'être orientée vers l'acquisition d'une connaissance (approche relationnelle) :

 

Avoir et etre en pedagogie

 

Dans la pratique, il n’y a pas de cloisonnement radical entre ces deux orientations, elles ne constituent pas deux systèmes clos.

Ainsi, lorsqu'en Psychodramaturgie, l'animatrice apporte des précisions sur certaines formes linguistiques ou lorsqu'elle intervient pour spécifier les raisons de certaines corrections, elle transmet un savoir sur la langue. Le savoir vient alors se greffer sur la connaissance et la compléter.

De même des phases de vécu sont souvent intégrées dans les approches qui relèvent d'une Pédagogie de l’avoir, ceci en particulier dans les activités dites de transfert. Il en est de même dans le choix d'activités destinées aux apprenants avancés, un certain nombre de ces activités correspondent ou sont proches des pratiques d’une Pédagogie de l’être [11].

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[4] „Die Sprache ist das Haus des Seins. In ihrer Behausung wohnt der Mensch.“ Martin Heidegger Brief über den Humanismus, 1947. 
[5] Il s'agit, en particulier, de critères de sélection et de progression des contenus ainsi que de la définition des objectifs. 
[6] Nous faisons la distinction entre "apprenant(s)" et "participant(s)". Le terme « apprenants » correspond à une conception fonctionnelle de l'apprentissage : apprendre des contenus déterminés par d'autres. C’est pourquoi nous utilisons le terme « apprenant(s) » dans le cadre de la Pédagogie de l’avoir. C’est d’ailleurs le terme le plus souvent employé par les auteurs de manuels et les didacticiens qui préconisent cette forme d’apprentissage.
Nous utiliserons le terme "participants" pour les approches pédagogiques qui relèvent d'une "Pédagogie de l'être", car ceux-ci participent de manière directe à l'orientation et au déroulement des activités proposées par l'animatrice ainsi qu'à la détermination des contenus et donc au développement de la langue dans le groupe. Ils participent aussi directement à la vie du groupe en raison de leur liberté d'action et d'interaction dans la rencontre et l'échange entre les membres du groupe à partir de cette activité. C'est donc essentiellement en tant que personnes et non en tant qu'apprenants que les participants abordent le processus d'apprentissage et y participent.
La terminologie utilisée en pédagogie  n’est pas innocente, elle reflète une conception de l’apprentissage.
[7] Aliénation est pris au sens de : "Tout processus par lequel l'être humain est rendu comme étranger à lui-même" (cf. Petit Robert). 
[8] Ainsi, lorsque l’enseignant pose des questions, il s'agit le plus souvent de questions de contrôle destinées à vérifier si les apprenants l’ont bien écouté et compris ou s’ils ont bien appris ce qui est objet de son programme d’enseignement. Il s’agit d’une communication profondément marquée par ses contraintes institutionnelles.
[9] Il ne s’agit cependant pas de plaider ici en faveur de la suppression du manuel, la majorité des enseignants sont contraints d’utiliser un manuel en raison de leur contexte institutionnel, de leurs conditions de travail et de leur formation. Il importe cependant d’être conscient de ses limites et de chercher à les repousser.
Une grande partie des activités proposées en PDL et dans les pédagogies relationnelles (voir note 17) peuvent contribuer à élargir et surtout personnaliser un enseignement essentiellement centré sur un manuel.
[10] Nous faisons une distinction entre la connaissance, qui est acquise à travers une expérience vécue, et le savoir, qui est essentiellement appris. 
Pour illustrer cette différence prenons l’exemple de notre mode de relation à un pays étranger et à ses habitants. En lisant un livre sur ce pays et ses habitants nous obtenons un savoir. Celui-ci est le résultat d’une approche essentiellement intellectuelle et abstraite. 
Par contre, en nous rendant dans ce pays et en communiquant avec ses habitants, nous acquérons une connaissance de cette langue dans une rencontre vivante avec ceux-ci. Nous sommes directement impliqués en tant que personnes dans cette rencontre. La connaissance est donc le fruit d’une expérience personnelle, elle passe par le vécu. Elle procède d’une appréhension globale de l'individu dans laquelle le corps, l’affectif et l’intellect sont impliqués.
[11] D'autres approches pédagogiques suivent les participants dans leur désir d’expression à partir d’une activité-cadre et donnent intrinsèquement la parole aux participants. C’est le cas des Simulations globales développées en particulier par Francis Debyser, Jean-Marc Caré et Francise Yaiche, ainsi que de certaines approches qui relèvent de la Pédagogie du théâtre, lorsque celles-ci reposent sur le développement de l’expression spontanée des participants.
On trouve également de plus en plus ce type d’activités ouvertes qui stimulent l’expression libre et la créativité des participants, dans des livre destinés à la formation des enseignants, dans des séries comme Didactique des langues étrangères (CLE international.), Pratiques de classe et collection F (Hachette), Les outils malins (PUG), Teacher Development (Cambridge University Press), Pilgrim Longmann Resource Books (Longmann) ou Resource Books for Teachers (Oxford University Press) … 

 

Les caractéristiques d’une pédagogie de l’être

„Le langage avant de signifier quelque chose signifie pour quelqu'un“.
J. Lacan : Écrits I, 1966, 86.

Être orienté vers les participants et le groupe signifie qu’on ne décide pas pour eux à l’avance des contenus, de la progression et des objectifs linguistiques, et donc de ce qu'ils doivent dire ou apprendre. 

L'animatrice a une fonction structurante dans le choix et le déroulement des activités-cadre qui éveillent ou stimulent leur désir d'expression et qui contribuent à la rencontre des participants et du groupe. Elle a également une fonction de soutien sur le plan linguistique, car elle leur fournit ensuite, au fur et à mesure de leurs besoins, les moyens linguistiques nécessaires à leur expression. Pour reprendre l'image du chemin, elle accompagne les participants sur leur parcours pédagogique.

Pour ce faire, elle doit disposer non seulement d'une écoute fine et d'une disponibilité sensible, mais aussi d'une grande spontanéité dans la gestion du groupe et dans le maniement de la langue. Elle doit développer une présence soutenue à ce qui se passe dans le groupe et donc maintenir tous ses sens en éveil. À la relation hiérarchique de l'enseignement conventionnel vient se substituer une relation empathique, l'animatrice se mettant au service des besoins et désirs d'expression des participants et du groupe.

Pour reprendre l'image du chemin, elle accompagne les participants sur leur parcours pédagogique.

Au début de l'apprentissage, la langue naît essentiellement à l’intérieur du groupe selon les besoins, désirs et intérêts des participants. Ce sont eux qui sont à l’origine des contenus linguistiques et de la communication dans le groupe. 

Lorsque, par la suite, l’animatrice choisit des documents (textes, documents iconographiques…) ou des activités dramaturgiques, c’est en fonction du groupe qu’elle établit ces choix et non en fonction d’objectifs linguistiques à atteindre [12].

Les participants acquièrent donc directement la langue étrangère en s'exprimant et en communiquant entre eux. Un lien direct se crée ainsi entre les locuteurs et leur parole, entre leur intention d'expression et les énoncés qu'ils ébauchent ou formulent en fonction de leurs compétences linguistiques. Ceux-ci ont donc une signification particulière pour eux.

Cette unité entre les locuteurs et leur parole stimule le processus d'acquisition de la langue étrangère et facilite la rétention mémorielle. Elle augmente la motivation des participants et elle favorise l'intégration de la langue étrangère, car il s'agit de leur parole.

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[12] Dans le cas d'objectifs professionnels précis (apprentissage sur objectifs spécifiques), l’animatrice part des situations que les participants doivent maîtriser et non d’éléments linguistiques prédéterminés et transmis à travers des textes. Les apports linguistiques découlent de la situation. Ils sont vécus en relation et en situation. Les stratégies d’apprentissage sont ici aussi orientées vers les participants et le groupe. Certains textes peuvent servir de déclencheurs à ces situations, d’autres peuvent venir, dans un second temps, compléter cette approche. 

 

 Une pédagogie qui repose sur une conception holistique de l’apprentissage

La Psychodramaturgie s'adresse au participant dans sa globalité, c'est-à-dire à la fois sur le plan physique, affectif, intellectuel, ainsi que dans sa dimension sociale et spirituelle[13].

Le corps est sollicité à différents niveaux en PDL. En effet, de nombreux exercices de Psychodramaturgie sensibilisent les participants à la fonction du corps dans l’expression et la relation lors de l'acquisition de la langue étrangère.
Voici quelques exemples qui illustrent cette approche du corps en PDL :
     - La PDL accorde, dès le début de l'apprentissage, une grande place à la prononciation, or la prononciation est sans doute la partie la plus physique de l'apprentissage d'une langue.
       Dans ce cadre, des gestes spécifiques sont utilisés pour faciliter la production du rythme, de la mélodie et de sons propres à la langue étrangère.
     - Les poèmes accompagnés de mouvements renforcent cette place du corps (voir sur ce site Prononciation et poésie).
     - Les échauffements de certains exercices commencent par des attitudes ou des mouvements corporels avant de faire appel à la parole.
     - Comme les cours se déroulent, en général, au sol ou sur des tabourets ou bien des chaises, et donc sans tables, le corps dispose de plus de liberté de mouvements pour être en adéquation avec l’expression des participants. Ceux-ci peuvent ainsi déterminer plus facilement leur place dans l’espace et leur distance par rapport aux autres participants. La dimension proxémique de la relation est donc prise en compte. 

L’affectivité accompagne et stimule l’expression des participants du fait qu’ils s'expriment en tant que personnes dans la langue étrangère avec leurs besoins, leurs affects, leurs attentes et leurs espoirs.

L'intellect participe constamment à l'observation et l'acquisition de la langue. Il est directement engagé, lorsque cela s'avère nécessaire, dans la phase de réflexion à la fin d’une activité en PDL [14].

Les participants sont également interpellés dans leur dimension sociale, car un grand nombre d'exercices permettent de développer l'écoute de soi et de l'autre, ainsi que l'empathie et la solidarité. Ces exercices stimulent la communication et la relation à l’autre et aux autres ainsi que la collaboration dans le groupe et le soutien des participants entre eux. Ils contribuent non seulement au développement de leur autonomie, mais ils stimulent leur sens de la coresponsabilité. Ils invitent à prendre en considération l'interdépendance de tout individu dans un groupe et par là même dans la société.

Les participants sont également impliqués dans leur dimension spirituelle, car leur conception de l'homme, de la vie et des thèmes majeurs qui les animent, sous-tendent parfois de manière directe, parfois symboliquement leur expression, que celle-ci se situe sur un plan réel ou imaginaire.

Ces cinq plans s'influencent et s'interpénètrent continuellement lors du déroulement des activités.

 
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[13] Cf. Dufeu, B.: Sur les Chemins d'une Pédagogie de l'être. Mainz, 1992, 31-35 e Dufeu, B.: Wege zu einer Pädagogik des Seins, Mainz, 2003, pp. 54-58.
[14]Voir la phase 5 du schéma "Procédure d'apprentissage" dans Les fondements méthodologiques de la PDL

 

Une pédagogie qui développe le double niveau de l'apprentissage

 Vie et apprentissage constituent une unité.


Apprentissage et vie ne sont pas séparés artificiellement pour des raisons didactiques.  L'apprentissage est vie et la vie un continuel processus d'apprentissage. L'acte d'apprentissage ne peut être dissocié du développement de celui qui en est le sujet, car en élargissant ses aptitudes et attitudes, il contribue à son évolution personnelle. La pédagogie ne conduit pas seulement à la maîtrise de situations qui peuvent s’avérer utiles dans le futur, elle est aussi et avant tout partie intégrante de la vie des participants et du groupe dans le présent. Elle ne prépare pas seulement à une vie potentielle, elle est vie. Cette vie s’exprime de manière directe ou symbolique sur un plan direct ou imaginaire. 

L'acte d'apprentissage participe directement 
au développement de celui qui en est le sujet

La PDL remplit sa fonction éducative au sens de ex-ducere : "conduire hors de". Elle permet au participant à travers les exercices proposés, d'être soi et parfois même d'être soi autrement et donc d'élargir ses possibilités d'être. Elle contribue à son processus d'individuation [15] en le considérant comme un individu en évolution permantente. Elle participe, entre autres, à l'accroissement de sa spontanéité et de sa créativité [16], au renforcement de sa confiance en lui-même, et, en particulier au développement de deux capacités fondamentales en communication et dans l’apprentissage d’une langue : la réceptivité et la capacité d'expression. 

L’apprentissage de la langue étrangère se situe donc dans un contexte global d’évolution de l’individu auquel il participe. S'adressant directement au participant en tant que personne et non seulement en tant qu'apprenant, la PDL favorise  donc non seulement l’acquisition de connaissances linguistiques et culturelles (objectifs de surface), mais aussi au développement d’attitudes, d’aptitudes et de comportements (objectifs profonds) qui facilitent l’acquisition de la langue étrangère et qui participent en même temps au développement de l'individu dans son ensemble. Plus ces attitudes, aptitudes et compétences sont développées plus l’apprentissage des objectifs de surface et donc l’acquisition de la langue étrangère se trouvent facilités.

Le processus d’acquisition de la langue étrangère se situe sur deux niveaux d’apprentissage qui se complètent :

 - Les objectifs de surface qui concernent la maîtrise de la prononciation, de la syntaxe, du lexique, des contenus culturels et interculturels nécessaires pour pouvoir comprendre et s’exprimer de manière orale ou écrite dans la langue étrangère.
 - Les objectifs profonds que constituent les attitudes, aptitudes et compétences qui contribuent à l’acquisition d’une langue étrangère : concentration, écoute, empathie, attention, spontanéité, créativité, flexibilité, confiance en soi… 

Pour illustrer ce double niveau d’apprentissage, nous pouvons prendre l’exemple d’un danseur dont la tâche n'est pas seulement de connaître et de maîtriser les pas, les suites de mouvements ou les figures de la danse qu’il doit exécuter (niveau de surface), mais de développer, au niveau profond, des capacités qui lui permettent d’être un bon danseur : le sens du rythme, la perception de son corps (proprioception), la souplesse, le sens de l'observation, la sensibilité artistique, l’écoute et la perception de l’autre, la capacité de synchronisation avec ses partenaires…

Nous pouvons transposer ce double niveau de compétences à l'apprentissage des langues. Comme pour le danseur, il est important de développer le niveau profond qui concerne les attitudes, les comportements, les compétences de communication et les stratégies d'apprentissage qui facilitent la réceptivité et l’expression. 

Les personnes considérées comme douées pour les langues maîtrisent particulièrement certaines de ces compétences profondes, il importe donc de les intégrer dans l'apprentissage des langues étrangères pour en faciliter l'acquisition.

Nous avons résumé cette double dimension de l'apprentissage dans le schéma suivant :

 

Conception F 22

Observations sur le schéma ci-dessus :
L’enseignement conventionnel se concentre essentiellement sur des objectifs linguistiques et culturels (objectifs de surface) représentés dans la partie supérieure du schéma. 
La Psychodramaturgie établit ses objectifs en partant d'un plan plus profond. Elle accorde une place fondamentale au développement des objectifs comportementaux représentés dans la partie inférieure du schéma, ceux-ci facilitent l’apprentissage de la langue étrangère. Elle contribue par là même au développement de l'individu dans son ensemble. 
Les participants développent ces facultés à travers des activités qui favorisent en même temps la perception, l'expression et la communication dans la langue étrangère entre les membres du groupe. Les participants acquièrent d'autant mieux la langue que ces facultés sont stimulées et élargies.
L'avoir (ici les contenus linguistiques et inter/culturels) s'intègre d'autant mieux qu'il est en résonance avec l'être.

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[15] Voir Maria Von Franz : Le processus d’individuation. In C.G. Jung : L‘homme et ses symboles. Paris : Robert Laffont, 1964, 158-229.[16]J.- L. Moreno : Fondements de la sociométrie, 1954, 17-34.

 

Une pédagogie qui respecte l’unicité des participants et de leur apprentissage

C'est en respectant le rythme d'apprentissage des participants
que ceux-ci avancent le mieux.

Chaque participant est considéré comme un être unique engagé dans un continuel processus d’évolution et d’individuation (voir note 15 ). Cette unicité se reflète dans notre compréhension de l’apprentissage : les participants acquièrent la langue chacun à leur rythme en suivant leur propre chemin dans cette langue en fonction de leurs aptitudes, de leurs compétences, de leurs intérêts, mais aussi de leur « résonance » à ce qui fait l’objet des échanges. Le processus d’acquisition est, par essence, un acte individuel, il n’y a donc pas en PDL recherche d’homogénéité ou d’uniformisation de l’apprentissage en vue de l’obtention d’objectifs linguistiques précis dans un temps donné [17]. Les participants sont respectés dans leur individualité et leur singularité face à l’apprentissage. 

Chacun est sa propre référence.

Toute recherche d'uniformisation de l’apprentissage repose sur une illusion méthodologique, car tout apprentissage est, par nature, individuel. C’est en suivant son propre rythme que chacun avance le mieux. La PDL propose donc des activités qui permettent aux participants de suivre leur rythme personnel d’apprentissage. Elle se conçoit comme une pédagogie de la proposition et se distance par là même d'une pédagogie de l'imposition. Elle rencontre les participants et le groupe là où ils sont et se propose de les accompagner sur leur chemin, plutôt que de les projeter dans des besoins futurs hypothétiques. Elle développe ainsi une pédagogie du chemin.

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[17] L’enseignement prôné par les manuels est fortement centré sur des objectifs linguistiques et culturels préétablis (le contenu de l'unité du manuel), ce qui conduit à une sélection et une progression de contenus érigés en programme. Comme les apprenants sont souvent évalués au fur et à mesure de l’apprentissage, cette évaluation renforce la nécessité d'apprendre des contenus précis selon un ordre donné. 

 

Une pédagogie qui repose sur une progression relationnelle

Chacun apprend de chacun

À la place de la progression essentiellement linguistique et thématique préconisée par un enseignement fondé sur l’emploi d’un manuel, la PDL repose sur une progression relationnelle en adéquation avec son orientation vers les participants et le groupe. Elle propose des activités qui permettent à chacun de faire ses premiers pas à son rythme dans la langue étrangère, puis des exercicequi favorisent progressivement  la communication avec les autres membres du groupe.

Les premiers jours d’un cours intensif, chaque participant est accompagné individuellement à son rythme dans la langue étrangère [18]. L'accès à la langue étrangère est amorcé par un travail individualisé sur mesure. Les participants sont alors sensibilisés tout particulièrement à la prononciation de la langue afin de rendre celle-ci plus familière et afin de renforcer leur confiance en leurs capacités d’apprentissage. Les participants sont, dans cette phase, à l’origine de la langue qui leur est proposée ou qu’ils emploient. Ainsi, dès le deuxième jour d'un cours intensif, les débutants complets déterminent l'orientation des contenus de leur séquence verbale en disant un mot ou un énoncé qui leur vient spontanément à l'esprit. Partant de cet énoncé et de la façon dont il a été exprimé, l'animatrice développe une séquence verbale qu'elle adapte en fonction de la manière dont le participant reprend ses propositions. Cette séquence suit, le plus souvent, un mouvement spiroïdal qui permet de reprendre particulièrement les éléments auxquels le protagoniste fait résonance. Cette technique permet d'élargir et de renforcer leur expression à partir de leur proposition de départ et en même temps de les mettre dans le rythme de la langue. Les débutants complets constituent ainsi leur premier « noyau de langue » à partir duquel ils pourront de plus en plus s’exprimer et étendre leurs connaissances lors d’activités ultérieures. Chacun acquiert donc progressivement une expression qui lui est propre dans la langue étrangère. Au début de l'apprentissage, la langue prend donc sa source et trouve vie dans le groupe en présence. Elle est fournie par l'animatrice au fur et à mesure de leurs besoins. 

Après le travail sur mesure des quatre premiers jours dans lequel chacun est introduit individuellement dans la langue étrangère et passe progressivement du monologue au dialogue, la PDL propose des activités qui intègrent directement de plus en plus de participants dans l'action. Les protagonistes ne sont plus alors soutenus seulement par l'animatrice, mais également par les autres membres du groupe au fur et à mesure qu'ils avancent dans leur connaissance de la langue étrangère, de telle sorte qu'ils développent non seulement leur autonomie, mais leur sens de la solidarité et la conscience de leur interdépendance. A travers les techniques utilisées, les différences de compétences linguistiques entre les participants sont donc exploitées positivement.

 

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Rencontre de deux participants avec le soutien du groupe

Après cette entrée individuelle qui permet un passage progressif du monologue au dialogue, les participants rencontrent progressivement un autre participant (rencontres en binômes), puis plusieurs (en autres, à travers des techniques de glissement ou de substitution) pour aboutir à des activités dans lesquelles tout le groupe est directement engagé dans l'action (dramaturgie de groupe). La construction et le déroulement de ces activités s’adaptent continuellement au groupe en présence. La Psychodramaturgie est donc orientée non seulement vers les participants mais également vers le groupe.

Pendant la première semaine de cours intensif ou pendant les deux premiers week-ends intensifs [19], les activités suivent un ordre précis pour mettre en place les premières bases linguistiques de la langue et commencer à développer les attitudes et compétences nécessaires à l’acquisition d’une langue étrangère [20]

 

 L'animatrice propose une activité-cadre,
les participants déterminent les contenus.

Par la suite, l’animatrice propose, en fonction de sa perception des intérêts, des thèmes et de la dynamique du groupedes situations ou des documents qui stimulent le désir d’expression des participants (fonction d’animation)Elle les accompagne dans leur découverte de la langue étrangère et leur vient en aide grâce à des techniques de soutien (double, miroir, recharge...), qui lui permettent de répondre à leurs besoins au fur et à mesure qu'ils apparaissent. Elle leur fournit, avec la participation des autres membres du groupe, le matériau linguistique qui leur manque (fonction de soutien) et elle propose une correction des productions linguistiquement erronées (fonction correctrice). Son attitude découle d’un des principes de base de la PDL : Suivre au lieu d'anticiper [21].

La PDL recherche constamment une cohérence dans l'enchaînement des exercices et une adéquation de ceux-ci par rapport à sa conception de l'apprentissage.

Le schéma ci-dessous illustre une progression possible des activités en PDL :

Progression relationnelle 2022

Le schéma ci-dessus présente la progression relationnelle des activités en PDL dans un cours destiné à des débutants complets.
Dans un cours avec des participants plus avancés, nous commençons par un double sur impulsion verbale (voir Description d'un cours) pour les sensibiliser au rythme de la langue étrangère et leur faire percevoir avec précision les spécificités prosodiques et segmentales de cette langue, puis nous passons, en fonction du niveau du groupe, à une phase de « rencontre avec l’autre » ou, suivant le niveau d'expression, directement à des activités de « dramaturgie de groupe. »

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[18] Pour mieux comprendre le déroulement d’un cours, consulter : https://www.psychodramaturgie.org/fr/cours/deroulement-cours
[19] Ces week-ends commencent en général par quatre heures de cours le vendredi de 17 heures à 21 heures et se terminent le dimanche à 13 heures, soit au total quinze d’heures.
[20]  Il est également important pour les animateurs de disposer d'une progression précise des exercices pour le début de l'apprentissage avec des débutants complets, car il s'agit d'un travail délicat. Nous conseillons d'ailleurs aux animateurs de ne pas commencer la pratique de la PDL avec des débutants complets, mais de développer une certaine expérience avec des faux débutants ou des participants avancés avant d'aborder cette phase. Nous avons eu besoin de plusieurs années pour mettre au point les exercices des premiers jours pour les débutants et nous supposons que des améliorations sont encore possibles.  
[21] Ce principe, "Suivre au lieu d'anticiper" ou "Suivre au lieu de précéder" plutôt que d'utiliser des contenus planifiés, se retrouve dans le domaine de la prononciation. En dehors de la sensibilisation au rythme de la langue au début de l'apprentissage, en particulier à travers des poèmes et des exercices qui font ressentir physiquement le rythme spécifique de la langue cible, c'est en fonction des erreurs que les problèmes prosodiques et segmentaux sont traités, ils ne sont pas sélectionnés et planifiés à l'avance.
Ce même principe est aussi appliqué dans le domaine de la grammaire. Celle-ci n'est pas programmée en fonction de difficultés que les participants pourraient rencontrer. C'est à partir des erreurs concrètes qui posent problèmes aux participants qu'elle est précisée (cf. Dufeu, 1992, 72-80) et Dufeu 2003, 91-102. Voir également le lien ... et la grammaire ?).
"Suivre au lieu d'anticiper" signifie que l'animatrice doit être continuellement à l'écoute des participants et du groupe. A la relation hiérarchique qui caractérise souvent l'enseignement traditionnel vient se substituer une relation empathique. L'animatrice, à travers sa fonction de soutien, est au service des participants et du groupe.  

 

2. Le mode de relation et d'acquisition de la langue étrangère 

Après nous être tourné vers l'aspect personnel et relationnel de l'apprentissage, nous allons nous concentrer maintenant sur son versant linguistique, en particulier sur le développement de la relation à la langue étrangère.

Une pédagogie qui s'efforce d'établir une relation positive avec la langue étrangère

 

Je n’ai pas appris la langue française, je l’ai aimée.
Yasmina Khadra [22]

Une relation positive à la langue étrangère facilite non seulement le contact avec celle-ci mais aussi son intégration. Elle stimule également la motivation qui elle-même catalyse alors la volonté et peut ainsi permettre un apprentissage dans la durée [23].

Chaque journée commence par une relaxation qui offre un contact doux avec la langue étrangère. Elle crée une atmosphère d'attention sans tension, stimule la concentration et la réceptivité des participants et les invitent à l'écoute et à la perception fine des détails prosodiques, syntaxiques et lexicaux. Elle propose également un retour sur soi avant de se tourner vers les autres.

En raison de l'importance de la prononciation dans l'acquisition d'une langue, les participants sont rendus sensibles, dès le début de l’apprentissage, aux caractéristiques prosodiques (rythme, mélodie) et segmentales (sons) de la langue étrangère, ce qui permet de rendre la langue plus familière et réduit son caractère étranger. 

Le recours pendant les trois premiers jours d'un cours intensif à des masques neutres sans ouverture des yeux pendant la première phase de ces exercices permet également aux participants de percevoir de manière précise les particularités prosodiques et segmentales de la langue cible. Ces masques favorisent également une écoute et une perception nuancée de la voix de l'animatrice et de leur propre voix. La voix de l'animatrice proche de l'oreille du protagoniste, lorsqu'elle est en position de double, contribue également à une perception fine de la prononciation de la langue étrangère. Les masques ont, de plus, une fonction protectrice, car ils protègent du regard des autres, ils faciitent, en outre, la concentration des participants sur eux-mêmes et renforcent la relation entre les participants et leur parole. 

 

150 Diego Synchronise Doppeln Marie et Diego

L'animatrice se met physiquement au diapason du protagoniste,
c
e qui conduit souvent à une synchronisation kinesthétique. 

 

Nous sensibilisons également les participants aux aspects esthétiques de cette langue, entre autres à l’aide de courts poèmes [24] accompagnés, le plus souvent, de mouvements qui illustrent leurs particularités prosodiques et articulatoires ou qui explicitent le sens des mots (gestes sémantiques) et qui favorisent la rétention mémorielle. Certains de ces poèmes transmettent par leur caractère universel des thèmes qui trouvent résonance en eux.

Si c'est leur parole,
cela peut devenir plus facilement leur langue.

La relation à la langue est marquée aussi par le fait qu'au début de l’apprentissage, la langue prend sa source et trouve vie dans le groupe en présence. Nous leur proposons une langue qui part de leur désir d’expression, donc une langue qui leur parle [25]. Ils peuvent ainsi entrer directement et personnellement en résonance avec elle. Les propos échangés dans le groupe ont donc non seulement un sens, mais une signification pour eux. 

L'animatrice, par son attitude emphatique, permet également aux participants de s'aventurer progressivement dans la langue étrangère en se sentant soutenus. Elle a également pour tâche d'établir une atmosphère de confiance dans le groupe, entre autres, par son mode de relation avec les participants, son respect de leur rythme et de leur chemin d'apprentissage et, ce qui n'est pas sans importance, son attitude par rapport à l'erreur. Alors que trop souvent, dans l'enseignement conventionnel, la crainte de faire des erreurs conduit certains apprenants à s'exprimer "dans un silence grammaticalement sans faute", l’erreur devient faute et est réprimandée ou même sanctionnée. En PDL l'erreur est considérée comme nécessaire à l'apprentissage. Les participants sont invités à faire des erreurs afin de découvrir les particularités et les limites de la langue étrangère. Vouloir éviter l'erreur, c'est freiner l'apprentissage et réduire les possibilités de découverte et par là même d'acquisition de la langue étrangère. 

Les participants sont incités à prendre des risques et à développer une attitude expérimentale face à la langue étrangère, ce qui permet de la découvrir dans son amplitude de potentialités et sa spécificité. Cette attitude contribue à réduire la crainte de s'exprimer chez les participants qui ont peur de perdre la face ou d'être jugés lorsqu'ils se trompent. Elle conduit progressivement à considérer l'apprentissage comme un espace ouvert à l'exploration d'espaces inconnus. Cette attitude se répercute dans la relation à l'autre comme étranger ou inconnu. 

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[22] France Info, 20.04.2018, lors de l'émission « À l’affiche » au sujet de son livre Le baiser et la morsure.
[23] La volonté se maintient sur le long terme lorsqu’elle ne repose pas simplement sur le désir (cf. les bonnes résolutions de début d’année), mais lorsqu’elle est stimulée par une forte motivation. 
[24] Voir https://www.psychodramaturgie.org/fr/fondements/prononciation/prononciation-et-poesie
[25] Voir plus haut le paragraphe intitulé : Une pédagogie qui suit une progression relationnelle. 

 

Une pédagogie qui invite à acquérir la langue étrangère en la vivant

Une langue vit, une langue se vit.

Au lieu d’être essentiellement objet d’apprentissage, la langue étrangère en PDL est avant tout moyen d’expression, de communication, de relation, de rencontre et d’échange entre les participants [26]. Elle se développe au gré de ces rencontres sur un plan réel ou imaginaire en résonance avec l’activité proposée. Elle est donc vécue, ce qui conduit à l’acquisition d’une connaissance (voir note 8). Ainsi s’établit une relation directe entre les locuteurs et leur parole, ce qui facilite la rétention mémorielle et par là même l’appropriation et l’intégration de la langue étrangère. 

"Nous sommes les invités de la vie."
George Steiner

L'apprentissage de la langue étrangère relève essentiellement dans ce contexte d'un processus d'acquisition, il s'agit avant tout d'acquérir la langue plutôt que de l'apprendre de manière plus ou moins abstraite [27]. C’est en vivant la langue qu’elle peut le plus facilement s’acquérir.

Il s’agit alors une langue vivante au sens plein du terme. C’est d'ailleurs ainsi que nous avons acquis notre langue maternelle [28] ou que nous avons élargi nos connaissances lors de séjours à l’étranger ou lors de contacts avec des locuteurs natifs. Ceux-ci ne parlaient pas selon un certain ordre en respectant une progression définie, mais ils s'exprimaient dans un autre ordre, celui de la communication spontanée en relation, en action et en situation.

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[26] Le thème de la rencontre est un thème majeur du créateur du psychodrame J. L. Moreno.  Son premier ouvrage s’intitule : Einladung zu einer Begegnung. (Invitation à la rencontre), Wien, Commissionsverlag, 1914. Cette proposition de rencontre sous-tend la construction des activités en PDL (cf. Dufeu 1992, pp. 44–45 et Dufeu 2003, pp. 31, 39, 64).
[27] Nous reprenons ici la distinction  de S.D. Krashen entre acquisition et apprentissage conscient (cf.  S.D. Krashen: Principle and practice in Second Language Acquisition. Oxford, Pergamon Press, 1982)Pour illustrer cette différence nous pouvons dire qu'un enfant n'apprend pas sa langue maternelle, mais l'acquiert, ce qui n'empêche pas qu'il y ait des phases d'apprentissage conscient, par exemple lors de corrections linguistiques de son entourage. 
[28] Cette indication ne signifie pas que nous considérions comme identiques l’apprentissage de la langue maternelle et celui de la langue étrangère, mais ce dernier peut être facilité sur certains points lorsque nous tenons compte de la façon dont le premier s’est développé. 

 

Une pédagogie du chemin et de la présence 

On veut les préparer à être alors qu'ils SONT !

La PDL peut être considérée comme une Pédagogie du chemin ; elle se distingue par là même d’une Pédagogie de l’objectif dont les contenus sont déterminés en vue de la maîtrise d’un futur hypothétique. À la notion de programme, la Psychodramaturgie substitue celle d'orientation proposant des activités-cadres [29] choisies en fonction des participants et du groupe. Leur déroulement s'adapte et évolue en fonction des réactions, des désirs d'expression et des besoins des participants. La langue trouve sa signification et prend sens dans le présent du groupe. Par là-même les participants sont co-responsables de la langue utilisée dans le groupe et co-responsables de leur apprentissage. L’apprentissage de la langue étrangère est considéré comme un processus individuel en groupe

 

Verschiebung 065

Chacun des quatre protagonistes est soutenu 
par deux participants en position de doubles
  

Au début de l’apprentissage, l’ici et maintenant a une place prépondérante, englobant en même temps l’individu comme porteur d’un passé-présent (expériences, souvenirs conscients et inconscients) et comme étant en projet dans son présent-futur en tant qu’être de désir avec ses attentes, ses espoirs, ses rêves... Par la suite, c’est en fonction du groupe de ses besoins et de ses thématiques que l’animatrice choisit les activités ou les documents devant servir à élargir et approfondir les connaissances linguistiques des participants. La PDL développe une pédagogie du présent et de la présence.

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[29] Voir la phase 1 du schéma "Procédure d'apprentissage" dans : Les fondements méthodologiques de la PDL 

 

Une pédagogie qui sensibilise au double niveau de communication

En communication, il est fondamental de percevoir non seulement ce qui est dit, mais également et surtout ce qui est exprimé par les locuteurs. Il importe donc de sensibiliser les participants à la signification du message portée par ses connotations et qui va bien au-delà du sens des énoncés (le dénotatif). 

C’est, entre autres, à travers les intonations et les choix lexicaux que s’exprime l'affectivité des locuteurs, la portée émotive de leurs propos et leurs intentions d'expression, c’est-à-dire la relation qu’ils ont avec ce qu’ils disent [30]. C’est pourquoi la PDL accorde, dès le début de l’apprentissage, une importance particulière à une sensibilisation à la perception des nuances prosodiques exprimées dans la langue étrangère et elle crée les conditions pratiques pour que celles-ci soient discernées [31]

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[30] Il y a bien sûr d'autres facteurs : expression faciale, attitude corporelle, gestuelle, proxémique...
[31] L'utilisation des techniques de double et de miroir au début de l'apprentissage contribuent fortement au développement d'une perception sensible des nuances expressives.

  

Une pédagogie qui prend en considération les fonctions essentielles du langage

Le langage n’est jamais innocent.
Roland Barthes [32]

Il importe de développer une approche qui soit en accord avec les spécificités de son objet : le langage. Or le langage a contribué à notre développement physique, affectif, intellectuel, social et spirituel [33]. Le langage n'est pas neutre, il nous implique en tant que personne. Nous ne pouvons donc considérer l'apprentissage d'une langue comme celui d'un simple savoir, que nous désirerions transmettre, ou d'une matière à apprendre (comme cela peut être le cas de sciences dites exactes). L'activité autour de la langue étrangère est signifiante. Lacan met d'ailleurs en relief cette relation profonde entre la langue, quand il considère que l'homme est, par essence, un être de parole, ce qui le conduit à le qualifier de « parlêtre » [34].

Les mots deviennent paroles.

Il ne s’agit pas d’utiliser des mots, mais de s’exprimer, de communiquer, d’entrer en relation avec les autres participants à travers la langue étrangère. Le langage retrouve ainsi ses fonctions essentielles : les fonctions expressives (Parler, c’est en premier s’exprimer !), communicatives (Parler, c’est entrer en relation et l’échange verbal facilite la rencontre) et symboliques (Parler transmet des représentations inter-/subjectives) [35].

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[32] Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, 1953.
[33] Le terme "spirituel" est pris ici au sens de conception de l’homme et de la vie et non au sens religieux. 
[34] Deuxième conférence sur Joyce, Lacan, Jacques : Joyce le symptôme II, 1979.
[35] Les autres fonctions langagières (fonction métalinguistique, référentielle…  cf. Roman Jacobson, Essais de linguistique générale, Les Éditions de Minuit, Paris, 1963) sont subordonnées à ces fonctions principales. 

 

Une pédagogie qui accorde une place privilégiée à l’imaginaire

En pédagogie, la courbe est parfois
le chemin le plus court d’un point à un autre.

Certaines approches pédagogiques sont avant tout destinées, à travers les situations et textes qu’elles proposent, à préparer les participants à une maîtrise directe du réel, on parle d'approches pragmatiques. Le chemin est alors fortement focalisé sur les objectifs et réduit par là même l’orientation et la portée de l’apprentissage.

La PDL, pour sa part, fait souvent appel à des activités qui favorisent l’expression de l’imaginaire, car l’imaginaire crée un espace intermédiaire [36] qui élargit le réel de la salle de cours et métamorphose celle-ci, lui donnant ainsi de nouvelles dimensions. Elle permet aux participants de se rencontrer avec leur réel et leur imaginaire et de développer une grande diversité d'activités et de rôles que ce soit à partir de situations, de documents ou d'autres sources d'expression. Il offre donc un grand espace de liberté à la création linguistique.

L'imaginaire propose, en même temps, aux participants un espace protecteur, dans lequel ils sont invités à prendre des risques sur le plan linguistique et, dans certains cas, à s’entraîner à la maîtrise du réel, sans en supporter les contraintes ou les conséquences. Il constitue un lieu où on peut être autre et agir autrement sans répercussions irréversibles.

Retrouver la possibilité de s'émerveiller.

L'imaginaire a, de plus, une fonction stimulante et, moteur d’expression, il éveille en nous des sources que souvent nous ignorons. Il puise dans les réserves insoupçonnées de notre monde intérieur et il contribue à un mouvement de base de l'expression en PDL : de l'intérieur vers l'extérieur, puis de soi vers les autres. Il nous invite à sortir de nos rôles habituels et à élargir notre palette de comportements, nous permettant de découvrir le réel autrement et de l’affronter sous d'autres perspectives. Il développe la flexibilité dans la prise de rôle et donc dans la maîtrise de situations nouvelles. L’imaginaire contribue également au développement d’une atmosphère d'expérimentation. Il invite à tenter de nouveaux modes de réactions face à une situation inattendue. Il ouvre les portes de la spontanéité et de la créativité, or parler, c’est créer

Sur le plan linguistique, l’imaginaire offre également un espace de liberté et de flexibilité dans l’expression des participants, car ils peuvent adapter leur expression à leurs capacités linguistiques. Les obstacles liés aux lacunes linguistiques peuvent être contournés.

En raison de son caractère inattendu, l'imaginaire éveille la curiosité des participants et favorise leur écoute, car ils ne savent pas ce qui va être exprimé par les autres participants.

C’est donc tout un monde potentiel et souvent symbolique qui s’ouvre au groupe lorsque nous recourons à l’imaginaire.

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[36] Cf. Winnicott, Donald, W. : Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris, Éditions Gallimard, 1975.

 

Quels avantages offre la Psychodramaturgie ?

Comme nous travaillons depuis maintenant plus de quarante ans avec la PDL, il nous semble utile de mettre en relief certains éléments qui ont déterminé notre choix et qui constituent les avantages de cette approche :

  • Les participants s’approprient plus facilement la langue étrangère, car elle est vécue directement (au lieu d’être essentiellement apprise) et elle correspond à leurs besoins, leurs désirs, leurs intérêts, leurs conceptions. Au début de l'apprentissage, ils sont à l'origine de la langue qui circule dans le groupe, ce qui renforce leur relation à celle-ci. Les participants entrent donc en résonance avec la langue proposée. 

  • Les activités présentent un double intérêt, non seulement un intérêt linguistique, mais également un intérêt personnel, ce qui augmente la motivation des participants.

  • L'emploi de la langue est personnalisé et donc dynamique et varié. La langue est, par nature, relationnelle, car elle est moyen d'expression, de communication et d'échange entre les participants. Cette langue est vivante, car elle  naît et se développe en relation avec eux. 

  • Le désir d’expression des participants se trouve stimulé par ces activités, ce qui contribue à la dynamique du groupe et à la vitalité de la relation dans le groupe.     

  • Cette approche crée une unité entre les locuteurs et leur parole. Cette unité locuteur-parole a un impact positif sur l’intérêt des participants à ce qui est dit (la parole est signifiante pour les locuteurs et les autres membres du groupe), sur l’écoute (écouter l’autre, quand on ne sait pas ce qu'il va dire, présente un intérêt), la rétention mémorielle (on retient mieux ce qui nous interpelle). Elle a également un impact sur la motivation (l’envie de mieux maîtriser cette langue est renforcée). De plus elle réduit la seconde aliénation dont nous parlions plus haut, car il s'agit de leur parole.

  • Les nouvelles connaissances sont plus facilement intégrées, car elles répondent aux besoins et désirs d’expression des participants. Elles leur parlent.  

  • Certaines attitudes, aptitudes et comportements nécessaires à l'apprentissage d'une langue sont développés à travers des exercices spécifiques qui facilitent l'acquisition de la langue étrangère.

  • La spontanéité et la créativité des participants sont renforcées par ces activités. Ils apprennent à utiliser la langue de manière flexible et établissent souvent un contact ludique avec elle.

  • La confiance des participants en eux-mêmes augmente en raison de l’atmosphère qui règne dans les cours, en raison de la relation empathique qu’établit l’animatrice avec eux, de sa fonction de soutien, de son attitude face à l’erreur, du respect du rythme d’apprentissage de chacun ainsi que de l’esprit de coopération qui se développe dans le groupe. Ils apprennent à s’aventurer en confiance dans la langue étrangère et à prendre des risques.

  • Les capacités de communication des participants sont abordées et élargies sous différentes perspectives grâce à la diversité des activités proposées.

  • Les techniques de la séquence verbale, de recharge et de reprise favorisent également un emploi flexible de la langue et renforcent la fluidité et l'assurance des participants dans la langue étrangère.

  • En raison de l’importance accordée dès le début de l’apprentissage à la prononciation de cette langue, celle-ci devient plus familière, ce qui réduit les difficultés et les craintes de la parler. Ils peuvent entrer plus facilement en résonance avec cette langue et donc mieux l’intégrer. 

  • Un grand nombre d’exercices permettent de développer une relation positive avec la langue étrangère, ce qui réduit certaines barrières liées à l'apprentissage d'une langue étrangère.  Les participants peuvent se sentir plus facilement à l'aise dans celle-ci et éprouver une plus grande liberté d'expression.

  • Une relation cordiale s’établit, en général, entre les participants à travers la langue étrangère, car ils peuvent se rencontrer dans le respect de leur singularité et de leur diversité dans cette langue. Ils peuvent, en outre, développer d’autres formes de contact entre eux à travers les activités qui font appel à l’imaginaire.

  • La langue étant acquise en s'exprimant et en communiquant directement, son réemploi à l’extérieur est facilité, car il y a correspondance entre son utilisation ou sa fonction lors de son apprentissage et dans la vie courante. Nous obtenons ce qui est appelé en neurosciences un « effet de

 La PDL peut générer chez les enseignants une mise en cause de certains fondements pédagogiques considérés jusqu'ici comme évidents. Elle constitue un défi, car elle ne propose pas une route tracée d'avance et partiellement sécurisante, mais un chemin dont on ne connaît pas à l'avance la trajectoire, car il se construit au gré des productions des participants. En contrepartie, elle peut engendrer le plaisir de la surprise et de l'étonnement lorsque s'épanouit leur spontanéité et qu'éclot leur créativité...

 

Une approche en continuelle évolution

Work in progress.
James Joyce


C'est un vaste champ d'action qui s'est ouvert à nous depuis plus de quarante ans. En adéquation avec les fondements théoriques de la Psychodramaturgie que nous précisons et approfondissons continuellement, nous développons constamment de nouvelles activités. 

Nous améliorons également régulièrement la formation d'animatrices et d'animateurs en Psychodramaturgie pour répondre aux exigences de sa pratique.

L'utilisation et l'application de la Psychodramaturgie s'élargit et se diversifie également grâce à l'engagement d'animatrices et d'animateurs de PDL. Alors qu'elle a été développée au départ pour l'enseignement des langues étrangères aux adultes, elle est utilisée maintenant avec les jeunes enfants et les adolescents, conçue pour être utilisée en groupe, elle est employée de plus en plus en cours individuels (monodramaturgie), prévue pour être utilisée en présentiel, elle se déroule également en distanciel depuis 2020.

Après une longue phase de développement, la PDL rencontre de plus en plus d'échos dans divers pays européens. En 2007, un groupe d’animateurs de PDL a créé l'Internationaler PDL-Verband(l'Association Internationale de PDL) pour contribuer à faire connaître la PDL et informer sur les formations ou cours proposés.

La Psychodramaturgie constitue à la fois un perpétuel défi en raison du potentiel de développement qu'elle révèle progressivement et une continuelle invitation à explorer d'autres rives pédagogiques.

 

Liens

Vous trouvez sur ce site d'autres informations pour mieux comprendre les fondements de la PDL :

Les hypothèses fondamentales de la PDL

Les sources de la Psychodramaturgie Linguistique

Il est certes difficile de s'imaginer le déroulement d'un cours de PDL sans vivre directement cette approche à travers l'apprentissage d'une langue qui vous est étrangère, mais la description proposée par le lien ci-dessous peut vous aider à en comprendre partiellement le déroulement :

Le déroulement d'un cours

Pour approfondir les fondements de la Psychodramaturgie et pour mieux comprendre sa pratique, nous vous conseillons de consulter les ouvrages et articles publiés sur ce thème :

Publications sur la PDL

© Bernard Dufeu, 2001

Première publication : 2001
Dernière mise à jour : 13.10.2023